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Narco News Issue #39

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Le monde est grand comment ?

Chroniques de l’Otra campaña. Un conte du délégué Zéro.


Par Subcomandante Insurgente Marcos
Enlace Zapatista

20 février 2006

Après une journée de réunions préparatoires pour l’Autre Campagne (c’était septembre, c’était le matin, et la pluie d’un lointain nuage), nous nous dirigions vers la cabane où se trouvaient nos affaires quand on croisa quelqu’un qui, de but en blanc, me lâcha :

– “Dites Sup, et qu’est ce qu’ils pensent faire les zapatistes ?”

Sans même m’arrêter je lui répondis :

– “Changer le monde”.

On arrivait à la cabane et on commençait à préparer les affaires pour partir, l’insurgée Erika attendit que je sois seul, elle s’approcha et me dit :

– “Dis Sup, mais le monde est très grand”

Comme s’il s’agissait que je me rende compte de l’ampleur de ce que j’avais dis et qu’en réalité je ne savais pas ce que j’avais dis quand j’ai dis ce que j’ai dis. Selon la coutume de répondre à une question par une autre question, je lui dis :

– ” Grand comment ?”

Elle me regarda et presque avec tendresse me répondit :

– “Très grand.”

J’insistai :

– “Oui, mais comment ?”

Elle réfléchit un instant et dit :

– “Beaucoup plus grand que Chiapas”.

Sur ces entrefaits on nous avisa que nous devions partir. De retour, une fois dans nos quartiers, après avoir installé Pingüino, Erika arriva près de moi en portant un globe terrestre, de ceux qu’on utilise dans les écoles primaires. Elle le posa sur le sol et me dit :

– “Regarde Sup, ici ce petit coin c’est le Chiapas et touuuuut ça c’est le monde”, et en le disant elle effleurait le globe de ces mains brunes.” – “Mmh”, dis-je en allumant ma pipe pour gagner du temps.

Erika insista :

– “Tu as vu comme c’est grand ?” – “Oui, mais on ne va pas le changer tout seuls, on va le changer avec beaucoup d’autres compañeros et compañeras d’autres endroits”.

Sur ce on l’appela pour son tour de garde. Montrant qu’elle avait appris, avant de partir elle me lança :

– “Et combien de compañeros et compañeras ?”.

LE MONDE EST GRAND COMMENT ?

Dans la vallée de Tehuacan, dans la Sierra Negra, dans la Sierra Norte, dans l’agglomération de Puebla, depuis les recoins les plus oubliés de l’autre Puebla des réponses se révèlent :

À Altepexi, une jeune femme répond : plus de 12 heures de travail à l’usine par jour, travailler les jours fériés, aucune prestation, pas d’assurance, ni prime ni intéressement, l’autoritarisme et les harcèlements du patron ou du chef de ligne, être punie sans indemnités quand je tombe malade, voir mon nom sur une liste noire pour ne pas obtenir de poste dans aucune autre usine, si on se met en grève le patron ferme et va ailleurs, les moyens de transport sont mauvais et j’arrive très tard à la maison et pour voir les factures d’électricité, d’eau, les impôts, faire les comptes et voir qu’on n’y arrive pas, se rendre compte qu’il n’y a même pas d’eau pour boire, que les égouts ne fonctionnent pas et que la rue empeste. Et le lendemain, ni reposée ni rassasiée, de retour au boulot. Le monde est aussi grand que ma rage contre tout ça.

Une jeune indigène mixteca : mon papa est parti il y a plus de douze ans aux États-Unis, ma maman travaille dans une fabrique de ballons, ils la paient 10 pesos par ballon, et s’il y en a un qui n’est pas bien fait, ils lui prennent 40 pesos. Ils ne paient pas tout de suite, seulement quand le patron revient au village. Mon frère fait ses bagages pour s’en aller aussi là-bas. Les femmes nous restons seules pour nous charger de la famille, de la terre, du travail. Donc c’est à nous aussi de prendre en charge la lutte. Le monde est aussi grand que la colère que je sens devant cette injustice, tellement fort que ça me fait bouillir de rage.

À San Miguel Tzinacapan. Un couple âgé se regarde et répond à l’unisson : le monde est de la taille de notre engagement pour le changer.
Un paysan indigène de la Sierre Negra, vétéran de toutes les expulsions, sauf celle de l’histoire : il doit être très grand, c’est pour ça qu’il faut faire grandir notre organisation.

À Ixtepec, Sierre Norte. Le monde est de la taille du sans-gêne des mauvais gouvernements et de Antorcha Campesina qui non contents de nuire aux paysans lui empoisonnent la terre.

À Huitziltepec. Depuis une petite école autonome, une télévision rebelle retransmet une vérité : le monde est si grand qu’il contient l’histoire de la communauté et son ardeur et sa lutte pour continuer à se montrer à l’univers avec dignité. Une femme, artisane indigène, de la même graine que la défunte Commandante Ramona, ajoute en voix off : ”Le monde est grand comme l’injustice que nous sentons quand on nous paie une misère pour ce que nous faisons et quand les choses dont on a besoin nous passent sous le nez, parce qu’on ne peut pas joindre les deux bouts”.

Dans le quartier de la Granja. “On dirait qu’il n’est pas très grand parce qu’il semble que les enfants pauvres n’y avons pas notre place, on fait que nous gronder, ils nous persécutent et nous battent, et tout ça parce qu’on essaie juste de trouver de quoi manger.

À Coronango. Aussi grand que soit le monde, il se meurt à cause de la pollution néolibérale de la terre, de l’eau, de l’air. Il se brise, car ainsi parlaient nos ancêtres, quand la communauté le brise, le monde se brise.

À San Matías Cocoyotla. Il est aussi grand que ce gouvernement est sans gêne, qui détruit ce que les travailleurs font. Maintenant nous devons nous organiser pour nous défendre contre le gouvernement, et dire qu’il est là pour nous aider. Vous voyez comme il est immonde.

À Puebla, mais l’autre Puebla. Le monde n’est pas si grand que ça puisque les riches n’en n’ont pas encore assez et qu’ils veulent nous enlever le peu que nous avons nous les pauvres.

Encore à Puebla, une jeune femme. Il est très grand, tellement qu’on ne peut le changer juste entre nous, il faut s’unir pour pouvoir le faire, parce que sinon et bien on ne peut pas, on s’épuise.

Une jeune artiste. Il est grand mais il est pourri, nous, parce qu’on est jeune on nous extorque. Dans ce monde être jeune est un délit.

Un habitant du quartier. Pour aussi grand qu’il soit il est encore trop petit pour les riches, parce qu’ils envahissent les terres communales, ejidales, les quartiers populaires. Ils n’ont plus assez de place pour leurs centres commerciaux et tout ce luxe et ils envahissent nos terres. Moi je crois que ceux qui n’ont plus de place ce sont nous, ceux d’en bas.

Un ouvrier. Le monde est aussi grand que le cynisme des leaders charro. Et avec ça ils disent défendre les travailleurs. Et là bas en haut toute la merde : le patron, l’autorité et le charro, bien qu’il se dise nouveau. Ils devraient faire un projet d’assainissement, autrement dit une décharge pour les mettre là tous ensemble. Encore que non, vaut mieux pas, ils pourraient tout polluer. Et si on les met tous en prison, les criminels vont se mutiner parce que même eux ne vont pas vouloir vivre avec ses enfoirés.

C’est le matin à Puebla, l’autre Puebla qui n’a cessé de nous étonner à chacun de nos pas sur ces terres. Nous avons à peine fini de manger et je n’ai pas cessé de penser à ce que je vais dire cette fois. Quand tout à coup, sous la porte, apparaît une petite valise qui se coince dans les interstices. On distingue à peine un murmure, comme quelqu’un qui avec peine pousse de l’autre côté. La petite valise arrive à passer et, derrière elle, trébuchant, quelque chose qui bizarrement ressemble à un scarabée. Si je ne savais pas que je me trouve à Puebla, c’est à dire l’Autre Puebla, et non pas dans les montagnes du sud-est mexicain, je pourrais presque parier qu’il s’agit de Durito. Comme laissant de côté une mauvaise pensée, je reprends le cahier où est écrite la question de cet examen imprévu. J’essaie de continuer à écrire, mais rien qui vaille la peine ne me vient à l’esprit. J’en suis là, c’est à dire à tourner en rond, quand je sens quelque chose sur mon épaule. Je suis sur le point de l’ôter d’un geste de la main quand j’entends :

– “Tu as du tabac ?” – “Cette voix, cette voix…” – “Quelle voix ? On voit que tu envies ma voix masculine et séductrice”, proteste Durito.
Plus de doute, ainsi donc, plus résigné qu’enthousiasmé, je dis : – “Durito… !” – “Comment “Durito” ! Si je suis le plus grand redresseur de torts, le secours des déshérités, le réconfort de l’abandonné, l’espérance du faible, le rêve inaccessible des femmes, le poster favori des enfants, l’inavouable jalousie des hommes, le…” – “Arrête, arrête ! On dirait un candidat à la campagne électorale.” Je dis à Durito en essayant de l’interrompre. Inutilement on dirait, puisqu’il poursuit : – “... le plus vaillant de l’espèce qui a embrassé la chevalerie errante : Don Durito de La Lacandona S.A. de C.V. de R.L. Et autorisé par Conseils de bon gouvernement.”

Sur ces dires, Durito montre, sur sa carapace, une décalcomanie sur laquelle on peut lire : “Autorisé par le Conseil de bon gouvernement, Commune autonome rebelle “Charlie Parker”.

– “Charlie Parker ? Je ne savais pas que nous avions une commune autonome de ce nom, du moins pas quand je suis parti.” – dis-je déconcerté. – “Bien sûr, je l’ai créée tout juste avant de partir pour venir à ton secours” – dit Durito. – “Bizarre, j’ai demandé qu’on m’envoie du tabac, pas un scarabée” – je réponds, je proteste. – “Je ne suis pas un scarabée, je suis un chevalier errant qui est venu te sortir du mauvais pas dans lequel tu t’es mis.” – “Moi ? Dans l’embarras ?” – “Oui, ne fais pas ton “héros précieux” genre Mario Marin [1] face aux enregistrements qui rendent compte de sa véritable valeur morale. Tu es ou non dans l’embarras ?” – “Bon, embarras, ce qu’on pourrait dire de l’embarras, euh… oui, je suis dans l’embarras.” – “Tu vois ? Tu vas me dire que tu ne souhaitais pas que moi, le meilleur de tous les chevaliers errants, je vienne à ton secours ?”

Je pense à peine un instant et je réponds :

– “Bien, à vrai dire, non.” – “Allons, ne cache pas ta joie, la grande allégresse et l’enthousiasme débordant que ton cœur ressent au seul fait de me revoir.” – “Je préfère le cacher”, dis-je résigné. – “Bon, bon, assez de fêtes et jeux pyrotechniques de bienvenue. Qui est le brigand que je dois vaincre avec le bras que j’ai en bas et à gauche ? Où sont les Kamel Nacif, Surcar Kuri et autres personnes si peu recommandables ?” – “Ce n’est pas un brigand et ça n’a rien à voir avec cette bande de vauriens. Il faut répondre à une question.” – “Vas-y”, dit Durito – “Le monde est grand comment ?” Lui dis-je, – “Bon, pour la réponse il y a une version courte et une version longe. Tu veux laquelle ?”

Je regarde la montre. Il est 3 heures du matin, j’ai les paupières qui tombent et la casquette sur les yeux, donc je lui répond sans hésiter :

– “La version courte.” – “Comment la version courte ! Tu penses peut-être que j’ai suivi tes traces dans huit États de la République mexicaine pour exposer la version courte ! Des nèfles, pas question, que dalle, que nenni, négatif, refusé, non.” – “Bon, dis-je résigné, alors la version longue.” – “Voilà, mon grand nez nomade ! Écris maintenant…”

Je prends le crayon et le cahier. Durito dicte :

– “Si tu le vois d’en haut, le monde est petit et de couleur vert dollar. Il entre parfaitement dans l’indice des prix et cotations de la Bourse, dans le pourcentage de marge d’une multinationale, dans le sondage électoral d’un pays qui a souffert la séquestration de sa dignité, dans la calculatrice cosmopolite qui additionne les capitaux et soustrait les vies, les collines, les rivières, les mers, les sources, les histoires, les civilisations entières, dans le tout petit petit cerveau de George W. Bush, dans l’esprit bouché du capitalisme sauvage mal habillé dans son costume néolibéral. Vu d’en haut, le monde est très petit car il ne tient pas compte des personnes et, qu’à leur place, il y a un numéro de compte en banque, sans autre mouvement que celui des encaissements.

“Mais si tu le vois d’en bas, le monde a une telle ampleur qu’un seul regard ne suffit pas pour l’envelopper, mais qu’il faut beaucoup de regards pour le compléter. Vu d’en bas, le monde regorge de mondes, presque tous peints de la couleur de l’exploitation, de la misère, du désespoir, de la mort. Le monde en bas s’agrandit sur les côtés, surtout vers le côté gauche, et il est fait de plein de couleurs, presque autant qu’il y a de personnes et d’histoires. Et il grandit en arrière, vers l’histoire qui l’a fait monde d’en bas ; et il grandit sur lui-même avec les luttes qui l’éclairent bien que la lumière d’en haut s’éteigne, et il rêve même si le silence d’en haut l’écrase, et il grandit en avant devinant dans chaque cœur qui le porte l’aube que feront naître ceux qui en bas sont ceux qu’ils sont. Vu d’en bas, le monde est si grand qu’il contient beaucoup de mondes et malgré ça il reste encore de la place pour, par exemple, une prison.

“C’est-à-dire pour résumer, vu d’en haut le monde rapetisse et il n’y a de la place que pour l’injustice. Et, vu d’en bas, le monde est tellement spacieux qu’il y a de la place pour la joie, la musique, le chant, les danses, le travail dans la dignité, la justice, l’opinion et la façon de penser de tout le monde, peu importe leurs différences si en bas ils sont ce qu’ils sont.”

C’est à peine si j’ai eu le temps de noter. Je relis la réponse de Durito et je lui demande :

– “Et quelle est la version courte ?” – “La version courte est la suivante : le monde est aussi grand que le cœur qui d’abord souffre et ensuite lutte, ensemble avec tous ceux d’en bas et à gauche.”

Durito s’en va. Je continue à écrire pendant que dans le ciel la lune se consume avec la lubrique caresse de la nuit.

J’aimerais oser une réponse. Imaginer que, avec mes mains, je libère ses cheveux et son désir, que j’accroche un soupir à son oreille, et, alors que mes lèvres parcourent ses collines, comprendre que le monde est aussi grand que la soif que j’ai de son ventre. Ou pour être plus décent, essayer de dire que le monde est aussi grand que la folie de le faire “autre”, comme l’écoute qui est nécessaire pour embrasser toutes les voix d’en bas, comme cet autre souhait collectif d’aller à contre courant en réunissant les révoltes en bas, quand en haut il séparent les solitudes.

Le monde est aussi grand que l’épineuse plante de l’indignation que nous avons soulevée ; en sachant que d’elle naîtra la fleur du lendemain. Et ce matin là, l’Université iberoaméricaine sera une université publique, gratuite et laïque et dans ses salles et ses couloirs il y aura des ouvriers, des paysans, des indigènes, et les autres, ceux qui aujourd’hui sont dehors.

C’est tout. Vous devez présenter vos réponses le 30 février en 3 exemplaires : un pour votre conscience, un autre pour l’autre campagne, et un autre, avec écrit clairement sur l’entête : WARNING, pour ceux qui en haut pensent, ingénus, qu’ils sont éternels.


Depuis l’Autre Puebla
SupMarcos
Commission Sexta de l’EZLN
Mexique, février 2006

Traduit par Susana, (CSPCL)

Source : Enlace zapatista

[1] Gouverneur de Puebla mis en cause par un enregistrement téléphonique a propos de l’appréhension illégale de Lydia Cacho

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