<i>"The Name of Our Country is América" - Simon Bolivar</i> The Narco News Bulletin<br><small>Reporting on the War on Drugs and Democracy from Latin America
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Narco News Issue #43

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Mexique Bravo ? Rio barbare ?

Chronique d’un bus et d’un Sup. Un bus postmoderne qui accompagne un sous-commandant sur le parcours de l’Autre Campagne à travers le territoire mexicain


Par Rodrigo Ibarra
Chronique « Le Rocinante de Troie » N°3

3 décembre 2006

Un paysage comme une page blanche. Entre Matamoros et le delta du Rio Bravo, on dirait qu’il n’y a rien qu’un désert de sombres buissons perdus dans la brume levée par le soleil à l’horizon. Passagers du Rocinante de Troie, comme a été baptisé notre bus, le ronronnement de la voiture sur la ligne droite, longue et monotone nous faisait somnoler. Quand tout à coup, comme un mirage au milieu de la désolation, en sens contraire, arrivait une grande procession funèbre : des Hummers, des Porsches, des Cheyennes, des Lobos, des Suburbans. Une centaine de véhicules 4×4 assez somptueux aux jantes voyantes et aux vitres fumées.

Mexique barbare


Photos: D.R. 2006 Rodrigo Ibarra
John Keneth Turner a titré Mexique barbare son livre où, indigné, il dénonçait l’existence de l’esclavage en plein XXième siècle. Beaucoup ont refusé tout crédit à Turner. C’était les débuts du siècle du progrès, du chemin de fer, de l’électricité, du télégraphe, de l’automobile. Le Mexique était une nation neuve, proche du glamour de l’Europe, conduite par un héros de l’interventionnisme, Porfirio Diaz, qui la guidait sur les rails du libéralisme.

Le paradoxe actuel de l’annonce de notre entrée dans la démocratie en est encore plus ridicule et révoltant. Encore plus absurde que celui vieux d’un siècle est l’esclavage d’aujourd’hui au Mexique. Allez galérer à Playa Bagdad, aux confins Nord-Ouest de la frontière imposée, au bord du delta pourrissant et marécageux du Rio Bravo.

Le Cheval déambule

Vers quatre heures de l’après-midi, les portes des huttes en bois de Playa Bagdad s’ouvrent. Chacune de ces centaines de cabanes appartient à Alejandro et Alicia Gomez Barrios. (Quel patron prête une maison à chacun de ses travailleurs ?) Les pêcheurs chargent les filets, leur matériel et de grands bidons d’essence au milieu des centaines de barques. Le Cheval déambule sur la plage.

Les barques, les filets, les équipements et tout le matériel sont tous la propriété d’Alejandro et Alicia. Pas l’essence. C’est les pêcheurs qui l’achètent. (Quel patron prête une barque, un filet et du matériel à chacun de ses travailleurs ?) Les pêcheurs sortent en mer. Ils lancent les filets, les récupèrent, retirent les poissons qui s’y sont coincés. Chiens de mer, vivaneaux, pargo, poissons écaille. Ils relancent les filets. Ceux-ci s’enfoncent avec le vœu et l’espoir de recueillir plus de kilos de poisson qu’il a fallu de litres d’essence pour faire l’aller-retour en haute mer. Souvent, ça ne se passe pas comme ça. Ils lancent à nouveau les filets et les récupèrent. Ils rentrent au petit jour. Le poisson est transporté à l’entrepôt où il est pesé. Les kilos et la qualité du produit sont notés dans le cahier du patron. Le Cheval déambule dans l’entrepôt.

Quand les pêcheur rentre chez eux, il fait noir. Dans le village, depuis des années, il n’y a que des poteaux nus. Dans les maisons, il n’y a jamais eu l’électricité. Il n’y a pas non plus d’école, ni d’hôpital, ni d’église. Dans le noir, le Cheval déambule à travers le village.

L’aube découvre le chemin de la plage. Les femmes et les filles sortent pour faire leur journée. Les unes arrangent les filets, les autres aiguisent les couteaux pour vider les poissons. Il faut aller vite pour vider près de quatre kilos en une journée. Pour chaque kilo de poisson vidé, le patron les paie dix pesos (0,68€).

Les enfants vont aux magasins. Il y a plus d’un magasin à Playa Bagdad. Mais un seul propose des œufs (1 peso pièce), du sucre (20 pesos le kilo), de l’huile (8 pesos le demi-litre) en échange d’un bon de reconnaissance de dette. Les pêcheurs épongent la dette jusqu’au samedi. De cette façon, le choix du magasin où l’on va est simple : au grand magasin, celui de doña Alicia. (Quel patron monte un magasin et fait crédit des aliments à ses travailleurs ?)

Chaque semaine a lieu le jour de raya, le jour des comptes. A 5 ou 10 pesos le kilo de poisson. A 20 ou 30 pesos le kilo de vivaneau. On multiplie, on additionne. Ensuite, on soustraie. « Tu devais 3500 la semaine dernière, plus 900 et quelques de ceci. On va noter mille, ça va ? Et voilà pour toi : 500 pesos pour tes dépenses. –Donne-moi au moins les 900 pour tenir la semaine, patron. Avec 500, tu vois bien que je ne vais pas la passer. –Ah, cabroncito. Tiens, mais ça ne fera pas baisser ta dette. »

Juste devant le magasin, le Cheval déambule.

La vie ne vaut rien

Il y a quelques mois, Juan Garcia Guerrero s’est noyé en mer alors qu’il pêchait après cinq années de travail pour le patron Alejandro Gomez. Il laisse trois orphelins : deux filles de 8 et 9 ans et un garçon de 3 ans. « Quand mon gendre s’est noyé, le patron a dit : « Un autre peut mourir encore ». Il nous a dit clairement que son équipement valait plus (la barque, le filet et tout le matériel) que le mort. » Le patron a payé le cercueil et l’enterrement. Près de 8000 pesos. L’équipement valait près de 20 000 pesos. La veuve du pêcheur a réclamé des indemnités pour ses enfants. Le défunt devait presque 3000 pesos au magasin. Quand ils l’ont étendu dans le cercueil, ils ont inventé qu’il en devait plus de 20 000, plus 60 pesos de sodas qu’il aurait pris au magasin le dernier jour de pêche. La veuve n’en a pas démordu et a été voir un avocat pour exiger son droit à des indemnités. Le patron l’a payée en l’expulsant de Playa Bagdad. Ce jour-là, les hommes de Gomez Barrios ont sorti de la maison qui est, en fin de compte, propriété du patron, et jeté dans la rue sablonneuse tous les biens de la famille. Les enfants vivent désormais chez leur grand-mère. « La maman, ma fille, vient une fois par semaine. Elle gagne peu. Elle travaille dans un restaurant. Elle envoie des petites choses et de l’argent pour ses enfants mais ça ne suffit pas. » Il n’y a pas de sécurité sociale. Ils leur disent qu’ils en ont une mais personne n’est assuré.

La peur du Cheval

Le 23 novembre, jour de la visite de l’Autre Campagne à Playa Bagdad, aucun des pêcheurs n’a osé prendre le micro pour dénoncer sa terrible situation. Alejandro Gomez, le patron, se trouvait ici même dans l’entrepôt et doña Alicia, la patronne, dans une maison juste à côté du restaurant qui faisait office de salle pour la rencontre. Le Cheval également. C’est un homme grand qui porte un 45. On dit que c’est un homme de la mafia, un narco. Il est chargé de surveiller la plage. « C’est lui qui planche. Ils viennent chercher quelqu’un et ils l’emportent. Ils lui mettent un chiffon pour lui couvrir le visage et lui baisse le pantalon. Ils attrapent une planche grande comme ça (l’informateur anonyme ouvre les bras d’approximativement un mètre) qui a une poignée et avec ça, ils le cognent jusqu’à ce que sa peau éclate. –Et pourquoi vous ne le dénoncez pas à la police ? –C’est un dieu. Ils nous tiennent à terre. Ils ont acheté la police, les fédéraux, la marine. Même le patron, ils le tiennent un pied sur la tête. » A Playa Bagdad, la « justice » est expéditive. Au bon vouloir du patron, le Cheval applique la manière dure, dure comme une planche de bois.

Chaînes de sel

Comme les finqueros (grands propriétaires terriens) producteurs d’agaves du siècle dernier l’auraient dit à Keneth Turner, il est certain qu’Alejandro Gomez Barrios serait en désaccord avec la caractérisation que je fais ici de son rapport avec les pêcheurs. « Ici, on force personne, dit-il aux compañeros. Celui qui ne veut pas, qu’il aille se faire foutre ! » Quel esclavage ? Où sont les fers et les chaînes ? Ni murs ni grillages n’encerclent Playa Bagdad. L’horizon, ouvert et inatteignable, sert de référence à la désolation : la mer à l’orient et le désert à l’occident. Il n’y a pas de fers qui retiennent les bras. Il y a une corde à laquelle on se rattache au-dessus d’un abîme. L’abîme du déracinement, de tout abandonner, d’oublier jusqu’au dernier : la famille, les compañeros, la maison et les filets bien qu’empruntés, la mer et l’aurore dorée, cette métaphore quotidienne de l’espoir. Les pêcheurs ne sont maîtres de rien. Le filet, leur vie, est en prêt. Ils naissent et meurent en lançant ce filet. A chaque brassée, l’océan se vide de leurs mains.

Epilogue

Dans la Karavana de l’Autre Campagne, la nouvelle, c’est que la file de véhicules de toutes les corporations policières, militaires et des renseignements qui nous a suivis à travers tout le pays, au Mataulipas (lisez Tamaulipas), s’est agrandie de plusieurs camionnettes comme celles de la procession funèbre qui a commencé cette chronique. Des véhicules sans plaques, aux vitres fumées et avec des autocollants de la Sainte Mort sur la vitre arrière. De lourdes gourmettes et bijoux en or dépassent des fenêtres ouvertes.

Ah, et à propos de l’enterrement. C’est un junior qui est mort. Le fils d’un capo des narcos. Trois jours auparavant, sa Cherokee dernier modèle a fait un tonneau sur la route. Il est resté trois jours dans le coma et est mort la veille de l’arrivée de l’Autre Campagne. Il est passé, mort, en sens contraire entraînant dans son sillage une enfilade de mafiosos vers le cimetière.

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